L’histoire d’Ostrov Krym

Il y a parfois dans la vie des personnes qui croisent votre chemin et vous marquent de manière singulière. C’est ce qui se passe lors de ma rencontre avec Krym Altynbekov. Je suis impressionné et touché par la vie et le charisme de ce personnage de roman dont je souhaite partager aujourd’hui le parcours singulier.

LE DÉBUT DU CHEMIN :

Il naît le 20 avril 1952 dans un petit village du Kazakhstan, dans une famille d’instituteurs. Son père, Kasenkhan Altynbekov, est un vétéran de la Grande Guerre patriotique (Seconde Guerre mondiale) et, en temps de paix, directeur d’école. Dès l’enfance, Krym s’intéresse à l’art et à l’histoire. Il s’essaie au dessin, à la peinture et au travail manuel. À partir de la 8e année, pendant les vacances scolaires, il travaille à la mine pour pouvoir s’acheter de nouveaux vêtements à la mode. En effet, il est le troisième fils d’une famille nombreuse et tous les vêtements qu’il porte lui sont hérités de ses frères aînés.

En quête de connaissances, Krym, après avoir terminé son service dans l’armée soviétique, quitte son village natal. D’abord pour Alma-Ata, la capitale du Kazakhstan (URSS à l’époque), puis dans d’autres villes de l’Union soviétique. Il veut découvrir le monde entier, mais à cette époque, il est difficile de se rendre à l’étranger. Il parvient à voyager jusqu’à Riga et à s’y installer pour quelque temps avec pour seul bagage ses rêves, son sens artistique et sa volonté.

Lors de notre dernière rencontre, Krym me raconte qu’il vit dans un tout petit village, enfant d’une famille nombreuse, et comme le veut la coutume kazakhe, chacun s’occupe de tous : frères, sœurs et cousins. Les enfants vivent tantôt chez leurs parents, tantôt dans d’autres maisons ou yourtes de la famille. Ils sont libres et nomades. À tel point que sa propre mère ne se rend compte de son départ pour l’étranger que deux ans après qu’il soit parti, lorsqu’elle reçoit une lettre de lui venant de Riga.

Pendant plusieurs années, il essaie diverses professions. Il est notamment ouvrier dans le bâtiment, graphiste, sculpteur sur bois et sur pierre, et travaille le métal. L’habitude de travailler et la soif de connaissances l’amènent à essayer de nouvelles techniques pendant son temps libre, la nuit, le week-end. Peu à peu, ses compétences se multiplient et Krym met ses connaissances acquises au service de son inventivité et de son esprit créatif.

Étant loin de chez lui, de sa patrie, il a un fort désir d’étudier l’histoire et de trouver des preuves de la richesse culturelle ancestrale de son peuple. En 1974, Krym travaille dans les Ateliers de restauration soviétiques à Alma-Ata, puis dans les ateliers de restauration de Leningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg). Au début simple étudiant, il gravit rapidement les échelons pour obtenir finalement des missions sérieuses, complexes et à forte responsabilité. Au cours de ces années, il travaille dans de nombreuses villes de l’Union soviétique, dont Leningrad, Moscou, Riga, Tallinn, Sébastopol, Simféropol, Tachkent, et bien d’autres encore…

EXPÉRIENCE :

Krym parcourt toute l’Union soviétique, que ce soit en participant à des missions et travaux de restauration, en créant des objets d’art dans diverses villes comme Leningrad, Kherson ou Riga, ou en étudiant la discipline de restaurateur au VNIIR (All-Union Research Institute of Restoration). Au début des années 1980, il rencontre sa future épouse, Saida, et décide de s’installer à Alma-Ata.

Après l’effondrement de l’Union soviétique, les travaux de recherche s’arrêtent et l’institut de restauration qui l’emploie est dissous. Krym traverse alors, comme beaucoup de ses compatriotes, une période extrêmement difficile. Par un concours de circonstances, Krym hérite d’une aile de l’ancienne école maternelle en banlieue d’Almaty, aujourd’hui agrandie, et commence à construire son propre centre de restauration d’œuvres et d’objets archéologiques, pierre par pierre.

À cette époque, règnent l’anarchie, le chaos et l’incompréhension de ce qui va se passer par la suite. Il faut survivre… Ses compétences en bijouterie, son savoir-faire d’artisan et sa persévérance effrénée aident Krym à se remettre sur pied. Les temps sont troublés, et il doit protéger son atelier des pillards et des racketteurs. Il est de service jour et nuit, gardant le matériel durement gagné, les outils et les fruits de son travail. Peu à peu, il peut embaucher des apprentis et des assistants.

Les clients viennent à lui pour restaurer ou commander des bijoux, restaurer des armures ou des vestiges du passé retrouvés dans des fouilles parfois illégales, des attributs religieux. Fort d’une réputation grandissante, le cercle des archéologues se met progressivement à apporter à l’atelier ses découvertes pour que Krym les étudie et les restaure. Les musées exsangues se tournent finalement vers lui.

En 1996, Krym achève des travaux majeurs sur la reconstruction de “L’homme d’or” (découverte centrale dans la reconstitution de la grande époque des guerriers Saks au Kazakhstan datant des IVe-IIIe siècles avant J.-C., et qui devient un symbole non officiel du pays). En 1999, à l’invitation d’archéologues, il participe aux fouilles du 11e tumulus de la nécropole de Berel, dans les montagnes de l’Altaï au Kazakhstan, à l’extrême est du pays. Il s’agit d’une expédition franco-kazakhe. Enfin, Krym a ici l’occasion de restaurer les preuves matérielles témoignant de l’ancienne et illustre culture de son peuple et de l’histoire de sa terre natale.

En 2000, à l’invitation de collègues français ayant participé aux fouilles de Berel, il peut enrichir son expérience auprès des laboratoires de restauration du Louvre et de Grenoble et trouver un modèle qui l’aiderait à faire progresser ses propres méthodes. La même année, Krym formalise donc officiellement son atelier-laboratoire en Laboratoire scientifique et de restauration “Île de Crimée”. Depuis, plusieurs méthodes sont développées pour la conservation et la restauration du bois dégradé, de l’écorce de bouleau, ainsi que pour la reconstitution et la préservation d’autres matières organiques. Les techniques développées permettent d’analyser des blocs et d’en retirer une quantité très importante d’informations autrefois perdues avec les méthodes de fouille traditionnelles.

Ainsi, grâce à ses méthodes et à son savoir-faire exceptionnel, Krym reconstruit de nombreux témoignages de l’illustre passé kazakh : l’homme d’or, les harnachements de parade des chevaux de Berel, les chefs de guerre Sarmates et Saka, les prêtresses Taksay et Urzhar, ainsi que de nombreux autres témoignages d’un passé lointain.

À 71 ans, Krym est donc un homme qui traverse les époques avec un courage et une détermination impressionnante, l’amour de son pays et de sa culture chevillée au corps et au cœur, et qui crée également une superbe famille. Ses deux filles, Elina et Dana, font désormais partie de l’aventure et apportent leurs savoir-faire et leurs visions à cette magnifique histoire familiale.